Quel rêve étrange... (libre)

Un pas. Deux pas...
Et voilà. J'ai franchi cette entrée. Je suis enfin à la fin de ce voyage, à la destination finale : le Valhalla. Et ma première impression fut de constater à quel point cet endroit était vaste.

J'inspirai un grand coup, décontenancée. Ces derniers jours, j'avais soit été mourante, soit trop fatiguée pour être capable de penser véritablement à ce que j'allais devenir. Mais maintenant que j'étais face à la réalité... Je me demandais réellement ce que j'allais bien pouvoir faire, maintenant que j'étais arrivé dans cet endroit supposé "idyllique".
Un courant d'air passa et je frissonnai. J'étais seule, désormais, seule face à mon... "avenir", que je me devais de forger. Mais comment ? Comment pouvais-je faire ça ? J'avais été éduquée pour recevoir et répondre aux ordres... Être autonome ? Je ne savais même pas ce que cela voulait dire...
Je cessai de fixer le sol, de fixer mes pieds, et je relevai la tête, regardant la cour déserte qui s'étendait devant moi, un grand et haut bâtiment se trouvant plus loin. Je m'enlaçai de mes bras, et m'avançai dans le froid matinal -il devait vraiment être très tôt, le soleil n'était même pas encore complètement levé...- me dirigeant vers ce bâtiment, cette... école.
Ecole. Education. Qu'était-ce ? Honnêtement, je ne connaissais pas. Jusqu'à mes 10 ans, en Inde, je n'avais jamais connu l'école, et une fois entre les mains de mon Maître, j'avais été dispensée de toute éducation autre que la sienne. J'en avais déjà entendu parlé, certes, mais tout ce monde dans lequel j'arrivais m'était entièrement inconnu.
A la suite d'un nouveau courant d'air, je me mis à trembler de tous mes membres, pensant soudainement à mon Maître. Qu'est-ce qu'il... Etait devenu ? Que lui était-il arrivé après mon départ ? Je frémis, m'imaginant les pires situations possibles. Me refermant brutalement sur moi-même, assise dans le froid de l'automne. Il allait me battre. Il allait me punir. C'était de ma faute ! Mais je ne voulais pas... Non... Non... J'avais trop peur... Si peur !
Je finis par me relever, titubante, et je restai tant bien que mal sur mes jambes. Lorsque je relevai enfin les yeux, quittant le sol du regard, je m'aperçus qu'au loin, quelqu'un me fixait.
Mon coeur fit un bond dans ma poitrine.
Non...
Et s'il allait le Lui dire ?
Pitié.
Pitié...
Non...
Je me mordis la lèvre inférieure, restai immobile, habillée d'une pauvre robe usée dans le froid sanglant de l'automne.

-Ne... Lui dites rien, suppliai-je cette silhouette d'une voix faiblarde.

Une jeune fille s'approcha de moi, et je pus enfin distinguer son apparence. Brune, les yeux... violets... Mais très jolie. Bien loin de me ressembler, pour ainsi dire. Je sursautai et écarquillai les yeux lorsqu'elle posa son manteau sur mes épaules, relevai la tête vers elle, le regard interrogatif.

-Qu'est-ce que...?

Je la fixai, incrédule. Pourquoi... Pourquoi avait-elle fait ça ? Je venais de tomber, j'avais laissé tomber mon Maître ! Je devais me faire punir ! Et pas... Pas être... Aidée...
Je fermai les yeux un instant, secouai la tête, comme pour faire partir cette illusion -ce n'était pas la première fois que je m'imaginais ce genre de chose- et rouvris les paupières, notant toujours sa présence en face de moi.
Je me mordis la lèvre inférieure, troublée. Mon nom... C'était... Une des premières fois qu'on me le demandait... Même certains amis de mon Maître ne connaissaient pas mon nom... Ce n'était pas important pour me faire payer mes erreurs, de toute façon.
Je continuai à détailler cette fille, sans comprendre le sens de ses gestes. Je frémis sous un nouveau courant d'air, et me blottis instinctivement dans son manteau. Me rendant compte de ce que je faisais, je reculai vivement de quelques pas, relevai la tête vers cette fille, Ireyelle apparemment, apeurée.

-Ne... Ne me fais rien ! Te... Tiens...! bredouillai-je en lui tendant son manteau. Je te le rends... Dé... Désolée d'être arrivée comme ça de... De t'avoir dérangée ! Je ne voulais pas, je te le jure ! C'est que je... Je...

En proie à la panique, quelques larmes roulèrent sur mes joues, incontrôlables. Je me pinçai les lèvres, tentai de ravaler mes sanglots, en vain. Je regardai mon inconnue.

-Pardon... Pardon... sanglotai-je. Je ne voulais rien faire de mal... Je suis trop maladroite... Excuse-moi, pardon...

Je la fixai, silencieuse, les yeux écarquillés, choquée, presque paralysée. Comment...? Comment pouvait-on être si... gentil ? Si plein de bonté, si... Comment pouvait-on aider une fille comme moi, une fille inutile, pleine de défauts et sans la moindre qualité ?
Je baissai la tête, plantai mon regard sur le sol tandis qu'elle reposait son manteau sur mes épaules. Elle tendit alors une main dans ma direction. Je tremblai, levai les yeux vers elle. Qu'est-ce que...?

-Pourquoi...? Pourquoi ? bafouillai-je faiblement.

Je fixai ses yeux violets, la lueur inquiète qui y brillait. Je frémis. Elle n'avait pas le droit ! Elle n'avait pas le droit de s'inquiéter pour moi ! Je n'avais que ce que je méritais... Mais l'inquiétude ne devait pas en faire partie ! Elle avait la chance d'être bien, elle. D'être pleine de qualité, jolie, et douce. Mais moi... moi je n'avais pas cette chance. Alors je ne devais pas l'inquiéter !
Et pourtant, je ne pus m'empêcher de prendre sa main.
Je ne pus m'empêcher de chercher à faire partir cette inquiétude de son visage.
Je ne voulais pas qu'elle s'occupe de moi. Je voulais qu'elle m'oublie. Qu'elle ne fasse plus attention à moi. Qu'elle ne me regarde plus jamais avec ce regard là.
Et puis... J'étais faite pour obéir...
Je pris donc sa main, levant la mienne en tremblotant doucement. Je saisis la sienne, sentis sa poigne douce serrer mes doigts. Je levai mes yeux brillants vers elle, sans savoir quoi faire.

-Pardon, ne pus m'empêcher de bredouiller à nouveau.

Sa voix calme, ses gestes doux... J'avais l'impression d'être dans un rêve, dans un de ces rêves que je faisais parfois où j'étais la Princesse. D'abord silencieuse, je me laissai entraîner lentement en direction de "l'école", regardant cette fille, Ireyelle, qui était si gentille avec moi. Voulait-elle... Vraiment connaître mon nom ? Ou était-ce une façon d'être certaine de connaître mon identité pour aller répéter à mon Maître que je l'avais abandonné sans chercher à le retrouver ?
Un frisson me parcourut et je lui jetai un regard apeuré, perdu, tirant d'un petit coup sec sur ma main pour la ramener contre moi, la serrant au creux de ma poitrine. Je me mordis la lèvre, fixai le fond de ses yeux.

-Tu vas... Lui dire ? Tu vas dire à mon Maître que je suis ici ? Il va venir me chercher et...

Des larmes commencèrent à prendre de nouveau possession de mes yeux, et je baissai la tête, serrant un peu plus mes mains contre mon coeur.

-...et me punir...?

Je n'eus pas d'autres choix que de la regarder au moment où elle prit doucement mon menton pour me faire relever la tête. Chacun de ses mots filèrent droit vers mon coeur. Je la regardai encore un instant, les yeux brillants, cherchant à reprendre constance avant de ravaler mes larmes, secouant lentement ma tête pour tenter de me calmer.

-Je... Tu... Merci... Merci...

Je relevai les yeux vers elle, et un mince sourire, timide et presque invisible étira mes lèvres.

-Merci beaucoup.

Je me contentai de l'observer encore quelques instants avant de demander d'une voix mal assurée, tandis que nous entrions dans le bâtiment.

-Tu... As porté ta main à ton poignet tout à l'heure... Et tu paraissais... Enervée. Agacée. J'ai fait quelque chose de mal...?

Je levai les yeux vers elle. Pourquoi hésiter encore...? C'était déjà la troisième fois qu'elle me demandait mon nom, et, comme une idiote, j'avais "esquivé" plus d'une fois sa question.
Je baissai la tête, et regardai sa main qui tenait encore la mienne, remontant de ma main libre sur mes épaules son manteau qui glissait lentement. Je me laissai avoir par quelques secondes d'hésitation avant de finalement répondre :

-Je m'appelle... Aishi. Toi...

Je relevai de nouveau les yeux vers elle, détaillant son regard mauve avec un petit sourire faiblard.

-Toi tu t'appelles Ireyelle, c'est bien ça ?

Soudainement effrayée, je relevai vivement la tête vers elle, mes pupilles vibrant dans mes yeux.

-Non... Non ! Je... Je ne veux pas te déranger ! Tu n'as pas besoin de me porter, tu... Ne t'embête pas pour moi ! Je peux monter les marches toute seule, ce n'est vraiment pas un souci, je te le promets !

Si... Si elle me porte, j'aurais prouvé une nouvelle fois que je ne suis qu'un boulet dans ce monde... Un poids que les gens se doivent de tirer. Je n'ai pas envie... Je n'ai pas envie de la déranger... Sinon, mon Maître viendra, et il... Il...
Je baissai la tête, fixai ma main encore libre, n'ayant pas retiré l'autre de la sienne, entortiller des bouts de ma robe entre ses doigts.
Il allait me frapper, et me faire comprendre que je n'étais qu'un déchet.
Je frémis, et reportai de nouveau mon regard vers elle, les yeux brillants.

-S'il te plaît... Je... J'ai pas envie d'être... Un poids. D'être inutile... Je veux pas t'obliger à faire ça... Et puis je vais bien ! Je peux monter, je te le jure...

Je me mordis la lèvre inférieure, la suppliai du regard.

-Et puis tu vas m'emmener où...? Il fait plus chaud ici, c'est bien comme ça, non...?

Je montai les marches à ses côtés, emmitouflée dans son manteau tout chaud. Je relevai les yeux vers elle lorsqu'elle me proposa de faire un choix. Je l'observai quelques instants en silence, avant de détourner le regard, gênée.

-Je... Je n'y ai jamais goûté, je ne sais pas quel goût ça a... Tu... Tu veux bien choisir pour moi ? demandai-je timidement en l'observant du coin de l'oeil.

J'attendis qu'elle me réponde, repensant à tout ce qu'elle avait déjà fait pour moi. Elle était définitivement trop gentille, c'était sûr... Me dire que je n'étais pas un poids, m'offrir son manteau, son aide... Et elle continuait à me sourire, encore et toujours. Alors que rien en moi ne méritait le moindre sourire... Et puis m'autoriser à prendre une douche. Dans sa chambre...! J'avais toujours dû me laver dans la rivière, et lorsque l'on m'autorisait une douche, elle était toujours froide...
Alors... Avais-je vu juste ? Ce jour-là, lorsque, transformée en louve blanche, mon instinct animal m'avait forcé à fuir, étais-je morte, perdue dans la neige ? Cet endroit... C'était bien le paradis, non...?
Mais pourquoi étais-je au Paradis, et non en enfer...?

Ses sourires, ses tons enjoués et agréables me déstabilisèrent. Je la regardai quelques instants, fixai le bout de chocolat qu'elle me tendait, et hochai la tête en le prenant de ses mains. Je l'observai croquer à plein dent dans le bout qu'elle avait gardé pour elle, et remarquai son sourire. Je baissai les yeux sur le bout qu'elle m'avait donné, et hésitai un petit instant avant d'en goûter un morceau. Je le mâchai et l'avalai, relevant le regard vers Ireyelle.

-C'est vraiment très bon ! Mais... Tu me donnes vraiment tout ça ? Il y en a beaucoup, non...? Tu n'en auras plus pour toi après...

Je fixai ses yeux, inquiète, sans oser en manger plus.

-Ca ne te dérange vraiment pas de me donner tout ça...?

Je me laissai faire et entrai dans sa chambre. Je regardai partout autour de moi, impressionnée par cette pièce énormément grande comparée à ce que j'avais eu, moi. Des dessins étaient accrochés au mur : plusieurs portraits et quelques paysages. Je tentai de reprendre mes esprits et reportai mon attention sur Ireyelle. Je la fixai en silence, avant de secouer doucement la tête.

-Tu sais, tu es vraiment quelqu'un de gentil... C'en est presque choquant... Tu es tellement souriante, généreuse... Tu donnes sans rien attendre en retour, sans chercher à être récompensée, ce que je ne comprends pas...

Je baissai la tête et essuyai mes mains pleine de sueur sur le bas de ma robe.

-Ex... Excuse-moi, je devrais pas dire ce genre de chose... Je veux dire... J'ai pas à faire ce genre de remarque, pardon...

Je secouai doucement la tête, tentai de me changer les idées.

-Tu.. C'est toi qui a dessiné ? C'est vraiment beau, dis-je alors en désignant les dessins accrochés au mur.

Elle m'amena à la salle de bain, me dicta ce qu'il me restait à faire ici, et retourna dans sa chambre pour, apparemment, me chercher des vêtements. Je la regardai fermer la porte derrière elle, sentant mon coeur s'agiter dans ma poitrine. Est-ce que c'était un piège ? Je restai un moment, immobile, à fixer la porte, m'attendant à voir quelqu'un, peu importe qui, entrer par là pour ma prendre et me ramener auprès de mon Maître où je me ferais punir. Mais rien. Rien du tout. Rien d'autre que cette porte, et le silence qui l'accompagnait. Décontenancée, je me tournai vers la douche. Une douche. Chaude. Encore une fois, ça me perturbait d'y avoir visiblement "droit". Mais devais-je le laisser paraître ? Elle me répèterait, encore et encore, que comme tout le monde j'avais le droit de vivre, et de vivre bien, correctement.
Abandonnant mes pensées sombres, je finis par me déshabillée et me glisser dans la douche. Je me lavai rapidement, ressentant cette impression dure et amère de ne pas être là où je devrais être, et m'essuyai tout aussi vite, me rhabillant de ma robe déchirée juste après.
Demeurant silencieuse pendant tout le temps que prit ma toilette, je posai ma main sur la poignée de la porte, la tournai doucement. La porte s'ouvrit et j'aperçus Ireyelle la tête enfouie dans son armoire, visiblement à la recherche de vêtement... pour moi.
Ces derniers mots furent difficiles à avaler, mais une fois que je me permis de le faire, une douce chaleur m'envahit et embauma mon coeur. Je regardai Ireyelle s'affairer à la récolte d'habits encore quelques instants en silence, et finis par tousser faiblement, attendant qu'elle relève la tête pour lui adresser un mince sourire.

-Je... J'ai fini, annonçai-je, sursautant vivement en sentant une goutte m'arriver sur le nez, tombant de mes cheveux encore humides que je n'avais pas pris le temps de sécher, ne sachant qu'à peine le faire.