Je déteste déjà cet endroit. (libre)

De mauvaise humeur, je déambulai dans les couloirs de ce foutu endroit, et j'atterris bientôt dans une espèce de cour intérieure, qui semblait, à mon grand bonheur, vide.
Presque souriante, bien que je n'eus fait que croiser quelques personnes sans grand intérêt depuis mon arrivée ici, je m'assis sur l'herbe fraîche qui recouvrait toute la zone, et rejetai ma tête en arrière pour observer le ciel ensoleillé. Il était bien tôt en ce jour... En même temps, j'étais arrivée la nuit et Morphé avait visiblement déjà pris congé. Résultat ; en proie à l'insomnie, je n'avais fait que marcher dans ce labyrinthe sans fin, ne cherchant même pas à savoir où j'allais tant j'étais énervée d'être ainsi négligée.
Car j'étais négligée. Où dormais-je ? Dans un dortoir. N'est-ce pas formidable ? Cela peut nous mener à faire de nouvelle rencontre avec des gens qui sont dans le même cas que nous, et toute sorte de chose du même genre... Et pourtant, je peux clairement affirmer qu'un dortoir est le pire endroit où dormir si on souhaite passer une nuit complète et reposante... En effet, dans un dortoir, que faîtes-vous de tous ces gens qui ronflent perpétuellement comme des moteurs de voiture ? Que ce soit clair dans vos petites têtes : pour bien dormir dans un dortoir, il faut dormir quand personne ne dort, c'est à dire l'après-midi. Et encore... Le mieux serait sûrement de dormir à la belle étoile.
Ainsi assise dans l'herbe de ce petit "paradis" de verdure, j'observai les nuages et les premiers rayons du soleil presqu'avec mélancolie. Ce que je n'aurais pas donné pour que Zhen Ji vienne avec moi... Au moins, je ne me serais pas ennuyée, c'est sûr. Alors que là... Il y a d'énormes risques pour que cela arrive.
Perdue dans mes pensées, je n'entendis pas quelqu'un arriver.

Je tournai la tête vers la personne qui m'avait importunée. En plus elle a une voix douce ! Ben voyons... On aura tout vu, ne pus-je m'empêcher de penser en soupirant. Oui, je suis matinale, mais j'aurais préféré être la seule, je suppose.
Mais enfin, elle n'a pas l'air méchante, alors je suppose que bonne figure est ce que je suis sensée faire, en tant que nouvelle.
Et donc, après un long silence de ma part, je finis par lâcher, luttant pour cacher mon indifférence :

-Effectivement. Je n'arrive pas à dormir avec toutes ces infamn-... filles qui sont dans les dortoirs...

Et puis alors ? Que se passait-il ensuite ? Elle me disait qu'elle allait me prêter son lit et que j'allais pouvoir dormir tranquillement ?
Désolée de vous l'apprendre : la vie n'est pas un conte de fée.
Je retins un beau soupir, comme ceux que j'avais l'habitude de lâcher lorsque je m'ennuyais, puis désignai alors une place à côté de moi. Je savais pas trop qui était cette fille... Mais tant qu'à faire, autant être aimable. Ah, j'ai tellement appris à être fausse, lorsque je souriais aux invités de mes parents ! Après tout, seule Zhen Ji a eu la chance de voir mon vrai visage... Et elle est également la seule à être parvenue à me faire rire. Ce qui est un exploit.
Aurais-je oublié préciser que nous partagions notre passion pour la danse ? Dans ce cas, vous êtes à présent au courant.

-Je t'en prie, assieds-toi, dis-je avec une voix malheureusement loin d'être chaleureuse.

Aurais-je perdu de mes talents d'acteurs ? Hum... Je ne sais pas. Je suppose que je dois cela à cette merveilleuse nuit blanche. Mais enfin, je n'étais pas non plus froide, j'aimerais que vous en teniez rigueur ! En effet, si j'avais été froide... Je ne lui aurais jamais proposé de s'asseoir.
En revanche, il est hors de question que j'engage la conversation. Que ce soit bien clair...

Je l'observai un instant, elle qui semblait faire tant d'efforts pour être aimable alors que moi, je n'avais aucune envie de lui parler ni même d'avoir un semblant de conversation avec elle. Elle avait de longs cheveux violets et des yeux qui me semblèrent, au premier abord, gris. Elle était grande et de taille fine. Mais ses cheveux... Ca devait certainement faire partie de mon futur lot quotidien, en vivant ici.
Je ne connaissais en réalité rien de cet endroit, bien que je n'eus même pas envie d'en apprendre davantage. Pour moi, c'était simplement un lieu maudit, où les fantasmes de quelques gens prenaient forme, de manières certainement différentes pour chacun. Mais c'était bien peu à côté de ce que je vivais avant d'arriver ici.
Avant, j'avais une amie, qui m'aimait, me comprenait. Qui avait su lire en moi.
Ici je n'avais rien, personne. Mes caprices et mes désirs n'étaient désormais que des ombres, et bien inférieures à celles des arbres ou même des fleurs.
Dans cette cour, sous cet arbre, je n'étais rien ni personne. Je n'étais plus rien... C'était exactement ça... Rien.
Je tournai la tête et jetai un coup d'oeil à son tigre... J'allais devoir m'habituer à ça aussi ? A ces animaux, ces choses sans intelligence ? Quoi que le tigre était l'un de ces bêtes pour laquelle j'avais le plus de respect... Il était pour moi majestueux et respectable, comparé à d'autres animaux idiots dont je n'avais même pas envie de citer le nom.
Après un long moment, je me décidai enfin à répondre. Je n'avais rien d'autre à faire, de toute façon... Et comme elle était là.

-Oui, je suis arrivée cette nuit.

Je soupirai, comme si dire cela m'avait coûté beaucoup. C'est que je devais en faire, des efforts, pour parvenir à articuler tant de mots à la suite alors que je n'avais pas envie de parlé. Et si je peux me permette, je tiens à rappeler que j'avais fait une nuit blanche.
Je ramenai mes jambes en tailleur et posai mes mains sur mes chevilles.

-Et toi, tu es là depuis longtemps ?

Ah oui ? Alors comme ça, elle le haïssait tant que ça ? Elle l'avait tant détesté qu'elle en avait intérieurement hurlé à l'agonie ? Elle aurait été capable de s'en arracher les cheveux, de se faire souffrir, simplement pour ça ?
Alors si c'était le cas, bravo. Elle devait me comprendre. Un peu.
Par contre, jamais, jamais elle n'aurait pu me comprendre quant à la perte d'un être cher. Car moi, une des filles les plus froides, asociales et détestables du monde, j'avais eu une amie que j'avais dû quitté. Et ça... Je décidais de me taire sur ce sujet, m'énervant moi-même à ne penser qu'à elle.
Je poussai un nouveau soupir, admirative quant à sa patience et sa douceur visiblement naturelle. Car elle semblait si... Calme. Elle avait clairement compris que je n'avais pas envie de parler, et elle continuait à être aimable, malgré mon comportement.
Cependant, ce n'était certainement pas une raison suffisante pour que je sois plus aimable à mon tour. C'était mal me connaître...
Doucement, je fis glisser une des mes mains sur l'herbe fraîche, m'occupant à ma façon. J'aimais voir l'herbe plier sous mes mains, soumise à ma force et à ma supériorité. J'aimais tellement savoir que je contrôlais ce que je faisais, que j'étais écoutée et respectée. Il allait pourtant falloir que cela change. Car qui, soyons sincère, allait m'écouter, ici, désormais ?
Perdue dans mes pensées, je me rendis compte que je ne lui avais même pas répondu. J'ouvris la bouche, prononçai un minuscule son, début d'une syllabe, et la refermai. Je n'avais pas envie de me forcer, cette fois-là. J'étais bien trop énervée contre mon passé qui m'avait tout droit amené ici.

Elle allait... M'écouter ? Et ici, dans ce lieu que je haïssais, il y aurait toujours quelqu'un pour le faire...? Je me tournai vers elle avec des yeux légèrement écarquillés, surprise par sa déclaration. "M'écouter"... Ils ne savaient pas du tout à quoi ils s'engageaient en m'annonçant ce genre de chose. Je finis par reporter mon regard sur l'herbe qui plissant au contact de mes doigts en soupirant.
Non, ils ne savaient pas du tout. Et je préférais ne pas me servir de cette perche qu'on venait de me tendre tout de suite. C'était bien plus distrayant de la garder pour moi et de la ressortir plus tard lorsque cet argument me serait alors essentiel pour obtenir l'aide que je désirerais à ce moment-là.
Je regardai du coin de l'oeil ce tigre qui semblait se reposer... A moins qu'il ne fût un animal étrange, comme tout ce que je risquais de croiser ici. En réalité, l'observant distraitement, je repensais à ce compliment qu'elle m'avait fait, comme quoi j'étais... Mignonne. Je devais avouer que ça me perturbait, surtout que je ne voyais pas du tout en quoi j'aurais alors pu l'être. Je n'avais fait qu'être distante avec elle depuis son arrivée ! Petit à petit, je me rendis compte que ce compliment... M'irritait, d'une certaine manière, car j'étais totalement inapte à le comprendre.
D'une voix que j'espérais modérée, je parvins à répondre :

-Je n'ai pas envie de parler.

Elle avait beau ne pas être méchante ni agressive... Mon ton était terriblement froid. J'étais vraiment un glaçon, au fond. Le pire, en plus, fut que je rajoutai :

-Je ne pense pas que vous puissiez m'aider.

Ce caractère détestable et froid qui me définissait tant... Masqué par un visage impassible et qui ne montrait qu'à de rares occasions une petite émotion... Un sourire intérieur étira mes lèvres alors qu'extérieurement, je restai de marbre.

-Pour me comprendre, il faudrait avoir le même caractère que moi. Or, vous ne semblez pas du tout comme ça, alors... Désolée, mais je ne veux pas vous raconter inutilement ma vie.

Son ton, ses paroles, et surtout son changement de sujet de surprirent beaucoup. Je regardai le tigre à côté d'elle, cherchant vainement à cacher mon étonnement. Je finis par soupirer. Ce que je savais d'elle...? Je savais qu'elle voulait engager la conversation, qu'elle souriant gentiment et calmement alors que j'étais glaciale avec elle, et qu'elle cherchait simplement à m'aider. En gros, elle était, d'après ce que je voyais d'elle, tout le contraire de moi, qui était cassante, froide, démunie de sentiments et détestable. Aider les autres ? Ce genre de chose ne m'était jamais venu à l'esprit. La seule personne que j'aurais pu aider aurait été Zhen Ji, or, elle n'avait jamais eu besoin de mon aide. Au pire, peut-être aurais-je pu m'occuper de mon frère, sauf que lui refusait que je me mêle de ses affaires. Aussi, ma bonté s'arrêtait-elle là.
Je reportai mon attention sur l'herbe que je pliais au gré de mes envies sous mes doigts longs et fins, mais surtout terriblement blancs. J'esquivai ses premières paroles pour ne répondre qu'à sa toute dernière question.

-Diao. Diao Chan.

Effectivement, ça sonnait chinois. En revanche, Farfaya, ça ne sonnait rien du tout. Je n'avais jamais entendu quelqu'un s'appeler comme ça... Enfin, peut-être que ma culture était trop peu approfondie ? Cela devait beaucoup y jouer également.
Au final, je me contentai de soupirer devant son air si souriant et agréable. Ce qui me coûtait tant d'efforts paraissait si naturel chez elle... Enfiler mon masque d'amabilité était si difficile en comparaison de l'absence d'efforts qu'elle semblait donner pour être si... Normale.

-Je viens d'Hong Kong.

Allais-je lui renvoyer la question ? Etrangement, je voulais savoir d'où elle venait. En revanche... Je refusais de lui renvoyer la question.

Je la regardai avec une légère surprise dans le regard. Pourquoi, mais pourquoi ne réagissait-elle pas ? Pourquoi ne s'énervait-elle pas ? Cela faisait déjà un moment qu'elle aurait dû me dire d'arrêter de faire mon cirque ! Elle aurait dû me déclarer que je l'agaçais, qu'elle détestait les gens comme moi... Et pourtant. Pourtant elle n'en faisait rien, et continuait à sourire et à être aimable. Et tout ça, sans faire le moindre effort... Oh, bien sûr, j'avais déjà rencontré des gens à la bonté naturelle dans ma vie. Zhen Ji l'était quasiment. Mais je ne pensais pas en trouver ici à vrai dire. Je pensais qu'il n'y aurait que des gens hautains, imbu d'eux-même et si avide de pouvoirs... Je retins un soupir, et décidai de répondre à sa question avec sincérité, comme pour lui revaloir sa gentillesse.

-Ma vie ne peut pas être comparer à celle d'une chinoise ordinaire. J'ai vécu sous la protection de mes parents, apprenant toutes les coutumes de la Chine traditionnelle. C'est à peine si j'avais le droit de sortir. Le peu de fois où ça arrivait, j'étais toujours accompagnée. J'ai vécu entourée d'aristocrates et d'hommes politiques en tout genre. On dit souvent que la richesse apporte le bonheur. Or, je n'ai jamais été libre... Alors c'est un choix. Vaut-il mieux être pauvre et libre, ou riche et surveillé en permanence ?

Son regard compréhensif, ses paroles douces... Tout m'échappait. Je ne la comprenais absolument pas ! Et pour cause : comment pouvait-on être si gentil avec une hypocrite comme moi ? J'étais totalement perdue, et j'aurais vraiment aimé, pour le coup, connaître ses pensées. D'ailleurs, même son tigre était partie, signe que je devais vraiment être agaçante, et pourtant, elle...
Je me surpris moi-même à écouter ses paroles sans avoir à faire semblant, étant sincèrement intéressée. Sa réponse à ma question m'amena à de nombreuses réflexions, mais aussi à certaines conclusions. Elle avait... été riche ? Et aussi pauvre ? J'aurais, sur le moment, aimé en savoir plus, mais il aurait fallu pour ça poser des questions... Et c'était encore au dessus de mes forces.
J'hochai finalement la tête, silencieuse.

-Pourtant, même ici, on n'est pas libre de tout, même si la liberté est grande, n'est-ce pas ?

Sa définition de la liberté, extrêmement fixée sur les autres, sur le bonheur de son entourage plutôt que du sien, m'arracha une grimace. Comment pouvait-elle autant penser à elle et si peu aux autres ? Comment pouvait-elle être si... gentille, si généreuse ? J'étais perdue face à cette personne qui était en tout mon opposé. Et puis, je ne comprenais pas sa question. Comment pouvais-je définir la liberté ? Comment pouvais-je donner ma définition ? En fait, comment pouvais-je me faire une idée de la liberté telle que je la voyais ? Je n'avais été jusque là que prisonnière, de mes actes à ma parole. J'étais constamment surveillé, pour tout et n'importe quoi. J'ouvris alors la bouche, et la refermais, sans savoir quoi faire ni quoi dire. Je soupirai. Je n'arrivais même pas à trouver une réponse convenable.

-C'est vrai, déclarai-je enfin. Je suis venue ici alors que j'avais entièrement le choix de refuser. Mais... Je pense qu'au fond de moi, la curiosité m'a poussé à accepter, avouai-je, ne me rendant compte que trop tard de ce que je venais de dire. J'ai décidé moi-même de partir pour cet endroit avec l'espoir, sans doute, de découvrir une vie meilleure et plus agréable. Différente de cette que j'avais pu vivre jusque là. Pour être honnête, je ne connais pas encore ma définition de la liberté. Je suppose que c'est pouvoir aller où on veut, quand on veut, sans la moindre contrainte... Mais si je ne le sais pas encore, peut-être que je ne tarderais pas non plus à le découvrir.

En l'entendant, une fois de plus, je ne pus que me dire qu'elle était complètement différente de moi. Si calme, douce, gentille... Se donnant complètement des autres au prix de sa propre vie. J'étais incapable de ça, et je ne comprenais par conséquent pas sa démarche.
Lorsqu'elle s'éloigna, je soupirai. Elle s'était... transformée ? Il y avait vraiment de tout ici...
Mes yeux quittèrent alors le ciel pour se poser sur le tigre qu'elle avait laissé ici, devant moi... Sans maîtresse pour le tenir. Je le fixai, hésitante. Il s'avança et je me figeai sur place. Qu'est-ce qu'il allait faire ? Je ne fus que très peu soulagé lorsqu'il s'arrêta. Je frissonai en sentant sa queue sur mon épaule, et le regardai partir, expirant un grand coup. Je n'aimais pas ce genre d'animal... Gros, puissant, fort... On est tellement faible à côté.
Lorsqu'il fut hors de ma vue, je m'éloignai, décidant d'aller vers un tour vers... L'entrée, là où cette nouvelle vie avait commencé.