Je le hais, je me hais, je hais cette Terre où je vis. (privé)

Après ma conversation avec Nashoba, j'étais partie, énervée, et m'étais enfoncée dans la forêt. Bien évidemment, je pénétrai dans un lieu complètement inconnue. Avouons que me retrouver près de ce grand lac n'avait été qu'une pure coïncidence : je ne connaissais pas du tout l'endroit où je vivais à présent ; je n'avais pas visité.
De toute façon, à quoi bon visiter ? Au fil et à mesure de mes promenades où je rencontrais toujours des gens que je ne connaissais pas et qui me surprenaient tous par leur caractère si étrange de ceux que j'avais pris pour habitude d'observer, je finissais toujours pas découvrir une nouvelle zone encore inconnue.
Le problème, c'est que jusque là, je n'étais encore jamais sortie la nuit. Non, jamais. Et je n'avais donc encore jamais envisagé l'hypothèse de me perdre... Et encore moins dans la forêt.
Ce soir-là, rappelons-le, j'étais misérable et terriblement faible. Je ne m'embêterais pas à expliquer pourquoi, ce serait trop énervant. J'insisterais donc simplement sur le fait que je me détestais.
Alors, au bout d'un bon moment à chercher vainement mon chemin -je n'avais pas de montre, résultat : la notion du temps m'échappait totalement- je finis par m'asseoir contre un arbre, anéantie, détruite, et surtout... Vide.
Plus rien n'existait autour de moi, si ce n'est les battements de mon cœur qui s'affolait à l'idée de rester perdue à jamais et de mourir ici, dévorée par un loup ou je ne sais quoi d'autre encore. Car j'étais effectivement perdue, et cela m'affolait... En même temps que l'admettre me tuait petit à petit.
Je me résolus alors à mourir ainsi, vidée, vide, vide... Vide.
Qu'est-ce qui me poussait à vivre ? Rien. Absolument rien. Mes uniques raisons de vivre avaient pris leurs jambes à leur cou lorsque j'avais dû venir ici, et il m'était désormais impossible de faire demi-tour... Je ne le savais que trop bien.
Car si je faisais demi-tour... Comment ferais-je pour soutenir le regard de mes parents ? Ce serait tout bonnement impossible.
Assise contre un arbre au milieu de nulle part -ou plus réellement au milieu d'une forêt- je lâchai un long soupir, attendant impatiemment que la mort vienne me chercher.
Bien évidemment... Je n'avais pas réfléchi. Car s'il suffisait de vouloir mourir pour le faire... Le taux de mortalité dans le monde serait nettement plus élevé.

Je crus que la mort était enfin venue me chercher. Je crus qu'on avait écouté mes prières, et qu'on venait me chercher pour m'emmener loin, loin, en enfer, là où je méritais le plus ma place. Je n'étais même pas intéressé par le paradis ; c'était à cause de ces gens trop gentils que j'étais si faible ce soir-là.
J'y ai cru, pendant la demie-seconde où on m'en a laissé le choix. Jusqu'à ce que ce qui tombait sur moi se soit révélé être un sabot, et que, obéissant à son maître, l'animal m'évita.
Le maître en question ne tarda pas à se montrer. Visiblement jeune, une fille se laissa entrevoir et commença à me parler. Je l'observai, la fixai même, cherchant à comprendre pourquoi elle n'avait pas laissé son cheval m'écraser. J'aurais été tranquille, au moins ! Je n'aurais plus eu mal au cœur... Je n'aurais plus été si étrange.
Je clignai des yeux pour la première fois depuis que cette bête avait failli me marcher dessus. Une fois, deux fois... Trois.
Je finis par déglutir, et déclarer d'une voix aiguë que je ne me connaissais encore et toujours pas.

-Je devrais... Effectivement.

Ce fut les seuls mots que je pus prononcer à cet instant.

Durant ce silence qui perdura, j'avais baissé la tête, me perdant dans ce fouillis de pensées. Observant l'herbe que je pliais à volonté sous mes mains, je sursautai presque en entendant sa voix s'élever à travers ce calme et cette sérénité prenante. Je relevai la tête vers elle, m'apercevant qu'elle était descendue de son cheval. Ou bien était-ce la bête qui me saluait ? J'en doute fort.
Je dus prendre quelques instants avant d'être capable de comprendre sa phrase. Une fois chaque mot bien compris, je répondis calmement :

-Je suis arrivé il y a... Deux jours, environ.

Dans la nuit. Quelle heure était-il ce soir ? Bonne question. Tard, je suppose.

Sa question me paralysa. Je baissai vivement la tête vers le sol, honteuse. J'étais perdue. Et je "boudais". Je voulais rester là, toute la nuit, toute la journée qui s'annonçait, toute la semaine... Toute ma vie. Je ne voulais plus décoller. Après tout, j'étais arrivée ici dans l'idée que je... Détesterais cet endroit. Et je comprends pourquoi je m'étais dit ça ; les gens sont trop gentils, ils me perturbent. Et puis, à l'opposé, il y a ceux qui trouvent mes points faibles, qui me surpassent. Ici je ne suis rien : je ne peux comprendre les gens gentils, je suis dépassée par ces gens plus forts que moi.
Je ne répondis pas. Mon silence signifiait tout, de toute façon...

Je relevais alors soudainement la tête en entendant ses paroles. Cette fille... C'est dingue, elle arrivait à dire tout haut ce qu'elle pensait, sans que ça me fasse mal pour autant. C'était... Epatant.
En entendant son allusion au fait qu'elle n'avait même pas envie de rester ici, je souris, soudainement amusée. Quelle sincérité dévoilée si doucement... Elle attirait étrangement ma sympathie. Elle n'était pas comme Zhen Ji, non... Après tout, Zhen Ji était unique. Mais pourtant, elle semblait... Attachante à sa façon, je trouvais.
Je jetai un coup d'oeil à la flamme qu'elle avait créée pour nous éclairer. Alors ici, en plus du contrôle d'un pouvoir déjà bien hors du commun, on pouvait contrôler un... Elément ? Le plus distrayant fut bien évidemment que je ne fus nullement surprise par cette flamme aux origines magiques, et donc particulièrement douteuses.
Je reportai mon regard sur elle, tentant de ne pas me départir de mon mince sourire.

-Et donc, tu comptes conséquemment me ramener dans ma chambre...?

Mon faible sourire ne semblait plus vouloir me quitter. J'admirais cette qualité qu'elle avait d'être si directe. Après une légère hésitation, je finis par accepter sa main et me lever à mon tour. J'avais enfin détaché mon regard fixé sur son autre main qui tenait la flamme dansante. Une fois debout en face d'elle, je laissai ma main retomber le long de mon corps. Je l'observai encore quelques instants avant de répondre à sa toute dernière interrogation.

-Pour le coups... Je ne sais plus. Celui où il y a les dortoirs... Le deuxième étage, je crois.

J'avais terriblement honte ne de même pas savoir à quel étage je me trouvais. Mais enfin, c'était ainsi... Et c'était trop tard pour faire demi-tour. Je poussai un mince soupir.

-En revanche, je n'ai pas de chose à donner en échange. Alors la cour me suffira.

Elle déclara implicitement qu'elle allait finalement m'accompagner jusqu'à mon niveau. Je réprimais un sourire amusé. Je me surpris soudainement en me rendant compte que j'allais étonnamment mieux que tout à l'heure. Je m'approchai de quelques pas lorsqu'elle me le demanda, et fixai le cheval baissé avec un air interrogateur. J'allais... J'allais vraiment monter sur ce truc ?

-Je marche à côté, hein ? demandai-je, intriguée.

Je déglutis avec difficulté. Ce n'est pas parce qu'il me regarde comme ça que je vais accepter si facilement... Les yeux doux ne m'ont jamais faite craquer ! Même si ce soir, j'étais plutôt... Faible. Je n'allais tout de même pas me laisser avoir si facilement ! Il suffisait de regarder sa taille pour comprendre... Si je tombe de si haut, je meurs sur le champs, c'est sûr ! Bon, j'en rajoute peut-être un peu... Non ?
Je poussai un petit sourire, et m'approchai lentement du cheval.

-Je... Je dois vraiment monter ?

Je devais avoir l'air misérable là, à avoir peur d'un cheval. Non, je crois qu'en fait, j'aurais été encore plus misérable si j'avais avoué que j'avais toujours eu un peu peur de ces bêtes... Et pour cause, alors que je n'étais encore qu'une petite fille, mon père avait absolument voulu que j'apprenne à monter, et en amazone qui plus est. Le résultat s'était bien évidemment soldé par un échec : j'étais très mal tombé, et j'avais dû être hospitalisé pendant une durée qui m'avait semblée rivaliser avec l'éternité. J'inspirai un grand coup, et attrapai sa main. Elle me tira alors vers elle et m'aida à monter. Une fois assise derrière elle, je m'agrippais comme je pouvais à l'animal et à Hanae, effrayée à l'idée de tomber.

-Dé... Désolée... murmurai-je.

Non... Moi, j'osais dire ce mot ? ... Vivement le lendemain, je n'en pouvais plus d'être si inutile.

C'est dingue, sans non plus trop se bouger, ce cheval était capable d'aller à une vitesse incroyable ! Ce devait certainement être dû à sa grande taille. Je souris lorsque l'école fut en vue, et hochai la tête en écoutant les paroles d'Hanae. J'observai l'entrée s'approcher de plus en plus, jusqu'à ce que nous entrions dans la cour. Elle se dirigea ensuite vers la tour. Je murmurai faiblement, d'une voix à peine audible :

-Tu vas vraiment monter les escaliers de la tour en cheval ?

J'avais beau tenté de camoufler ma respiration irrégulière apportée par mon incertitude vis à vis de cet étalon, il m'étais impossible d'entièrement la masquer. Je regardai par dessus l'épaule d'Hanae et observai la grande... tour ? qui s'élevait devant nous. Je n'avais qu'un étage à monter... Un seul. Il fallait que je garde mon calme. C'était déjà assez étonnant qu'elle ne me laisse pas en bas. Alors si en plus je l'agaçais... Resserrant un peu plus mon emprise sur elle afin de ne pas tomber -faute de nervosité- je déclarai d'une voix fort peu dénuée de tremblement.

-Pourquoi étais-tu sortie ce soir ? Tu cherchais quelque chose ?

Sa réponse me fit sourire, et je posai sur elle un regard amusé. Finalement, j'aimais bien sa façon d'être. Au fur et à mesure que nous montions sans la moindre encombre, ma peur me quittait petit à petit, jusqu'à ce que je redevienne réellement moi. L'air de rien, cette minuscule promenade m'avait fait du bien... J'étais au moins un peu moins faible que tout à l'heure.
Tournant la tête en direction de l'escalier, je me rendis compte que je ne tremblais même plus. En revanche, nous arrivions bientôt...
Je ne répondis pas à ses paroles. Que dire ? Je suis d'origine muette.

Quand le cheval posa un genou à terre, je descendis avec plus de rapidité et d'aisance que lorsque j'avais dû monter. Je me tournai ves Hanae, l'observai un instant, et pesai le pour et le contre la remercier avant de faire volte face. J'avais malheureusement retrouvé ma personnalité habituelle... Et politesse n'en faisait pas partie. Tant qu'elle n'était pas accompagnée par le mot "ironie" en tout cas. Je souris alors qu'elle ne le voyait pas, et allai pousser la porte des dortoirs. Je m'arrêtai dans l'entrebâillement de la porte, et lâchai finalement :

-Bon, bah... A la prochaine, hein.

J'avais vraiment pas envie de la remercier...